Mireille FARGIER-CARUSO
Mireille Fargier-Caruso est née en Ardèche en 1946. Elle vit à Paris où, après avoir enseigné la philosophie une dizaine d'années, elle est devenue bibliothécaire. Une poésie foncièrement authentique, grave, et qui refuse tout effet de style. Malgré le sombre du thème, lecture en définitive réconfortante comme tout ce qui sait faire face.
La poésie de Mireille Fargier-Caruso : non pas un défilé d’instants, mais leur convocation pour éprouver ce que, tout compte fait, aura été la vie et pour scander, à « relire l’oubli », le vrai tempo d’une mémoire. Le poème se mesure dès l’abord à sa propre ambition : se réconcilier avec soi-même - S’habiter - Apprendre à se passer de toit - Brûler avec les oiseaux.
Il s’agit, pour briser l’enfermement de l’existence tardive, de se redonner sens et dignité de solitude. Une femme, dans un été de contemplation inlassable, avec le retour des images et des visages, part à la recherche d’« un autre été un autre feu » : Quelques violettes entre les herbes hautes - Encore encore - Leur parfum - Ce qui ne s’oublie pas.
Et ce qu’elle redécouvre dans l’insondable, c’est d’abord le deuil (« Brutalement/ Le corps séparé// Cette chose posée de tout son long ») ; cela, qui demeure par le travers de toute mémoire, drame infime et immense : L’espace dans une tranchée - Quelques atomes engloutis par le temps.
Indélébiles aussi, ces images à revivre, les ressentis charnels de l’enfance : Garder les chèvres courir - Entre les murets de pierre sèche - […] Et la caresse brutale du mistral sur la peau.
Tout un éveil de jeune enfant pour en venir aux brûlantes découvertes qui bouleversent l’adolescente : cette chaleur qui monte - De son ventre à ses joues - Cette impatience violente en elle - À crier. Et qu’un autre jour affirmera, illuminé à la renverse : Odeur d’herbe coupée le plaisir là venu - Dans le cliquetis des feuilles de peuplier - Un brin d’éternité.
Au sommet du « naître et mourir », l’avènement, l’acmé d’« amour et sang mêlés » : Pour que vive l’enfant - Le pousser hors d’elle-même - L’éloigner à jamais. Ainsi œuvrée par un temps sans pitié, la vie peut-elle essayer autre chose que d’« amadouer/ La solitude radicale » et écouter : Le silence - Que font les morts - Quand on y pense.
Peut-elle longtemps distraire de la mort ? (« La mort si loin/ Elle n’y pensait pas »). Le peut-elle par la répétition « peau de chagrin » du quotidien (« Les emplois du temps avec application »), par « l’ordinaire », qui « empaille l’avenir » ; et ce, alors que le désir ne cesse de s’illimiter (« On voudrait tant étreindre le monde ») ?
Le poème aura vécu de supposer « un sens aux souvenirs », « une direction au temps » ; il n’aura fait que « remettre l’oubli à sa place » pour trouver, « entre les blancs », « un lent dépaysage ». Une lecture envoûtante.
Paul FARELLIER
(Revue Les Hommes sans Epaules).
À lire: Entre les points et la parole (Édition Saint-Germain-des-Prés, 198), Limites (Le Pont de l'Épée, 1984), Visage à édifier (Le Méridien/Chambelland, 1988), Contre-ciel (Le Pré de l'âge, 1990), Séquences au loin (Poésimage, 1991), Heures d’été ou l’envers de l'ombre (Arclettres, 1991), Blues-notes, (le Pré de l'âge, 1992), Lettre à L. (Froissart, 1993), Même la nuit, persiennes ouvertes (Le Dé Bleu, 1998), Dimanche, je vous aime (le Pré Carré, 2001), Silence à vif (Paupières de terre, 2004), Ces gestes en écho (Paupières de terre, 2006), Un peu de jour aux lèvres (Paupières de terre, 2010), Un lent dépaysage (Bruno Doucey, 2015), Comme une promesse abandonnée (Bruno Doucey, 2019).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : LES POETES DANS LA GUERRE n° 15 |